Le port de charges en flexion du dos est souvent pointé du doigt comme un facteur de risque majeur pour le mal de dos. Pourtant, les études récentes nuancent cette perception : certaines recommandent de ne pas diaboliser la flexion et de prendre en compte le contexte, la capacité individuelle et la répétition des gestes. Dans cet article, nous passons en revue plusieurs travaux scientifiques pour comprendre comment soulever des charges sans traumatiser son dos, et pourquoi il est important de relativiser la “technique parfaite” de levage.
📚 Pour approfondir l’importance de la mobilité et la variabilité posturale :
Poids maximal recommandé en flexion du dos

Les normes ergonomiques suggèrent de limiter le poids des charges soulevées manuellement pour éviter le risque lombaire. Par exemple, la norme ISO-11228 recommande un maximum d’environ 15 kg pour protéger la grande majorité de la population (environ 95 % des hommes et des femmes). Des valeurs plus élevées, jusqu'à 25 kg, sont parfois citées comme limites pour un homme jeune et entraîné, en posture idéale et sol plat, mais 25 kg représente déjà un seuil supérieur considéré comme maximal dans ces conditions.
En pratique plus la charge est lourde, plus la contrainte sur la colonne (compression des disques, effort musculaire) augmente de façon significative.
Il est donc recommandé de réduire le poids unitaire ou demander de l’aide (ou utiliser un outil de levage) si l’objet est très lourd ou si le mouvement est répété.
🔎 En savoir plus :
Effets d’une flexion répétée sur la colonne vertébrale
Les mouvements de flexion lombaire répétée (surtout avec charge) peuvent, sur le long terme, provoquer des microtraumatismes cumulatifs au niveau des disques intervertébraux. Des études en laboratoire (sur des segments de colonne de porc ou sur des échantillons cadavériques humains) ont montré qu’effectuer des milliers de flexions/extensions sous charge modérée peut engendrer des hernies discales postéro-latérales, même sans compression extrême.
En clair, la répétition fréquente du pliage du dos use progressivement les structures : on estime que les disques ont un nombre fini de cycles de flexion qu’ils peuvent tolérer avant d’être endommagés (ce nombre variant selon les individus). Par ailleurs, la flexion prolongée entraîne un phénomène de « fluage » ligamentaire : les ligaments vertébraux s’étirent et perdent temporairement de leur tension, ce qui inhibe certains muscles stabilisateurs du dos. Ce relâchement transitoire réduit la stabilité de la colonne et pourrait augmenter le risque de blessure juste après un effort répété ou un maintien penché prolongé.
D’un point de vue épidémiologique, les métiers impliquant de se pencher fréquemment sont effectivement associés à plus de lombalgies que la moyenne, ce qui classe la flexion fréquente du tronc comme un facteur de risque de mal de dos dans plusieurs études cohortes
Il faut cependant nuancer : ces effets apparaissent surtout lors de flexions extrêmes, très répétitives ou prolongées. Des flexions modérées et variées au quotidien (se baisser pour lacer ses chaussures, jardiner, etc.) font partie du fonctionnement normal de la colonne et sont généralement bien tolérées par une colonne saine. (je dirais meme nécessaire a son bon entretient)
📚 Études et ressources :
Dos fléchi complet vs genoux fléchis (techniques de soulèvement)

On a longtemps conseillé de “garder le dos droit et plier les genoux” pour soulever un objet, dans l’idée de protéger la colonne. Cependant, les études ne montrent pas de bénéfice clair de cette consigne sur la prévention des blessures. Par exemple, former des travailleurs à “bien se pencher” n’a pas diminué de manière significative le taux de lombalgie.
Une revue note même que donner la fameuse consigne “dos droit, genoux fléchis” n’avait pas d’effet positif et pouvait augmenter les arrêts de travail pour mal de dos.
En pratique, aucune « bonne posture » unique ne garantit à elle seule l’absence de douleur. Chaque méthode de levage a ses avantages et inconvénients biomécaniques :
1. Soulever en gardant le dos droit (en fléchissant les genoux)
- Sollicite davantage les muscles des jambes et du tronc.
- Réduit l’amplitude de flexion lombaire, ce qui peut diminuer les forces de cisaillement sur certains disques, mais elle entraîne souvent une charge compressive relativement élevée sur la colonne car l’effort des muscles (quadriceps, paravertébraux) compresse les vertèbres.
- Elle est énergétiquement coûteuse : mobiliser beaucoup de muscles fatigue plus vite
- On observe d’ailleurs que même les personnes formées à “plier les genoux” finissent spontanément par courber le dos quand la répétition ou la fatigue augmente
2. Soulever en flexion du dos (jambes quasi tendues)
- Qu’on appelle levage en “dos rond” ou en flexion complète
- Permet souvent de mobiliser la charge plus rapidement et plus facilement pour des poids modérés
- Contrairement à l’idée reçue, ne “détruit” pas forcément les disques : une étude de modélisation indique qu’un lever de 15 kg en dos fléchi génère moins de compression axiale qu’un lever en squat.
- En revanche, la flexion du dos augmente les forces de cisaillement sur la colonne supérieure (T12 à L4). Au niveau lombo-sacré (L5-S1), c’est l’inverse : le squat crée plus de cisaillement antérieur qu’un lever dos fléchi.
En somme, le dos rond répartit différemment les contraintes (moins de compression axiale, mais un peu plus de cisaillement sur certains étages). Il n’existe pas de posture “parfaite” universelle. Les chercheurs s’accordent à dire que la meilleure manière de soulever dépend du contexte (poids, forme de l’objet, espace disponible, fréquence du geste) et des caractéristiques individuelles (morphologie, souplesse, force, habitudes).
Par exemple, si l’objet est très lourd et bas, il peut être judicieux de fléchir les genoux pour rapprocher le centre de gravité et solliciter les cuisses. À l’inverse, pour ramasser un objet léger rapidement, se pencher en avant est naturel et sans danger pour un dos sain.
Alterner les stratégies peut éviter de toujours solliciter les mêmes structures : varier entre plier les genoux et arrondir le dos selon la situation permet de répartir la charge de travail entre les muscles du dos et des jambes. Au final, la consigne générale qui se dégage des études récentes est d’adopter la posture la plus confortable et efficace pour vous, tout en respectant certains principes de base (garder la charge proche du corps, éviter les à-coups, ne pas combiner flexion + rotation brusque du tronc, etc.
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Influence de l’entraînement et de l’habitude sur la tolérance du dos

La capacité du dos à tolérer la flexion et le port de charge augmente avec l’entraînement et l’habituation. Autrement dit, un dos entraîné est plus résistant. Les tissus (disques, ligaments, muscles) s’adaptent lorsqu’on les soumet progressivement à un stress : des charges augmentées graduellement stimulent le renforcement des muscles, des os et peut-être une plus grande robustesse des disques et ligaments au fil du temps.
C’est pourquoi de nombreux auteurs préconisent aujourd’hui de conditionner le dos par des exercices plutôt que de chercher à tout prix à éviter de le fléchir
- Chez des sportifs ayant régulièrement le dos en flexion (rameurs, skieurs de fond, etc.), on n’observe pas plus de lombalgies que dans la population générale équivalente, signe que leur colonne s’est adaptée à ces sollicitations répétées.
- Une étude sur d’anciens athlètes de haut niveau n’a pas trouvé plus de mal de dos entre ceux dont le sport impliquait beaucoup de flexions du tronc et les autres, sauf à des volumes d’entraînement extrêmement élevés (>550 heures/an) qui semblaient alors augmenter le risque
- À l’inverse, une personne sédentaire non habituée qui se met à soulever de lourdes charges en flexion sans préparation aura plus de chances de se blesser, car son dos n’a pas eu l’occasion de développer cette tolérance.
Il est donc important de renforcer progressivement le dos et d’apprendre les bons gestes.
- Par exemple, quelqu’un qui fait régulièrement des sit-ups ou des soulevés de terre depuis des années sans douleur ne devrait pas craindre ces mouvements – son dos y est acclimaté et il n’y a pas de raison de les lui interdire si aucun symptôme n’apparaît
- En revanche, si une personne présente des douleurs liées à la flexion (signe d’une irritation discale, par ex.), il est raisonnable de réduire temporairement l’amplitude ou la fréquence de ces flexions douloureuses, le temps que les tissus récupèrent. Ensuite, les spécialistes recommandent de réintroduire graduellement la flexion et le port de charge pour reconstruire la tolérance (“calm it down, then build it back up”).
Cette approche d’exposition progressive évite de tomber dans la peur du mouvement : le but final est que la personne puisse à nouveau se pencher et soulever librement, grâce à un dos renforcé et entraîné.
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Qu’en dit la vidéo de Major Mouvement ?
La vidéo de Major Mouvement (kinésithérapeute très suivi) intitulée « Le pire conseil pour protéger le dos !! 30 ans qu’on bassine les gens… » aborde justement ce sujet. Fin 2022, il y dénonce l’injonction systématique “ne jamais courber le dos”, en expliquant que cela n’a pas réellement diminué les douleurs lombaires à l’échelle de la population. Il rappelle qu’il n’existe pas de corrélation solide entre le degré de flexion et la survenue de lombalgies
D’après lui, nombreuses activités quotidiennes sollicitent naturellement le dos en flexion (ramasser un objet, jardiner, porter un enfant…), et le dos est conçu pour bouger. Mieux vaut adopter la posture de levage la plus naturelle (sans forcer une cambrure artificielle), maintenir un léger gainage et garder la charge proche de son corps.
Major Mouvement insiste aussi sur l’activité physique régulière et le renforcement du dos (au lieu de le “ménager” en permanence). Pour un adulte en bonne santé, se pencher dos rond n’est pas interdit si on respecte ses limites et que l’on progresse progressivement. Il n’existe pas de posture magique ; varier les mouvements et rester actif demeure le meilleur moyen de prévenir le mal de dos.
Conclusion : à chacun sa flexion (en sécurité)
Les études récentes convergent vers l’idée qu’il n’existe pas de technique universelle pour soulever en toute sécurité, ni de “mauvaise posture” absolue. Le dos fléchi peut être efficace et moins compressif, tandis que le squat (dos droit, genoux fléchis) peut réduire le cisaillement dans certaines zones. Chaque contexte (poids, fréquence, condition physique) et chaque morphologie dictent la meilleure approche.
- Limiter la charge ou demander de l’aide pour éviter les contraintes excessives.
- S’entraîner progressivement (exercices de renforcement, sports sollicitant la flexion).
- Varier les stratégies (alterner squat et “dos rond” selon le poids et la situation).
- Éviter flexion + rotation brusque, et garder la charge proche du corps.
- Réduire temporairement la flexion si la douleur est présente, mais réintroduire progressivement ensuite pour retrouver une bonne tolérance.
Au-delà de la simple technique, la capacité du dos à tolérer la flexion dépend aussi de notre hygiène de vie : activité physique régulière, renforcement musculaire, équilibre alimentaire et gestion du stress. Un dos entraîné, habitué aux variations de posture, s’adapte mieux et limite le risque de blessure. En somme, le dos s’adapte, à condition de ne pas brûler les étapes et de respecter ses limites.